Élégies

Page créée le 25 mars 2007 à 22h01 par François Direz print pdf

II. ÉLÉGIES

1

SUR LA TOMBE DE BÉRANGER

Fragment

Il gît sous cette pierre! - où la rose naissante,
Voulant mêler son deuil au deuil de l'univers,
Comme sous la funeste haleine des hivers
Courbe sa tête languissante

Où le sombre cyprès, dernier ami du mort,
Vers le sol répandant la tremblante rosée
Que la nuit, en fuyant, sur sa feuille a versée
Semble pleurer son triste sort ....

Il est là pour toujours!... et sa langue glacée
Ne rendra plus, hélas! ces accents qu'autrefois
La patrie et l'amour donnèrent à sa voix.
Sa lyre est à jamais brisée!..

Septembre 1859

2

ADIEU!
" She* bas departed! "
L. Byron

Fragment

Noirs autans. Ah! cessez de souffler la tempête
Et d'enfanter les pleurs! Qu'un ciel limpide et pur
De l'aurore au couchant s'étende sur sa tête
Que l'onde à ses pieds soit d'azur!

En murmurant son nom que la vague se brise!
Et que, resplendissant des derniers feux du jour,
Le flot s'unisse au flot et la brise à la brise
Pour bercer ses rêves d'amour!

Et toi, rapide nef, qui quittes ce rivage
Où la lame écumante au chant de ma douleur
Mêle sa voix plaintive, ô douloureuse image
De l'espoir qu'a vu fuir mon coeur! ...

......................................
Juillet 1858.

  • Em. Sul.

3

SA FOSSE EST CREUSÉE!..

A Dieu

I

Il sera dit, Seigneur, qu'avec les épis d'or
Elle aura vu tomber son front, où l'auréole,
Qui d'ans en ans pâlit, étincelait encor!
Qu'avant le soir ta main a fermé sa corolle!

Il sera dit qu'un jour jaloux de sa beauté
Tu lanças sur son toit l'archange à l'aile noire!
Que tu brisas sa coupe avant qu'elle y pût boire
Qu'elle avait dix-sept ans, qu'elle a l'éternité!

Il sera dit, - malheur! - que, fleuri sous ta serre,
Son berceau, frêle espoir, fut son cercueil un jour
Sans avoir vu dans l'ombre errer un nom d'amour!
II sera dit qu'au nid tu gardes ton tonnerre!

Non! la rose qui rit sur une tresse blonde,
Au bal, quand le coeur rêve et l'horizon est beau,
Ne doit point se faner demain sur un tombeau!
Que ta rosée, ô ciel, et non des pleurs, l'inonde!

Non! - Mon Harriet sourit lorsque les chants ailés
Que le soir à son coeur murmure avec la brise

Soufflent: Amour... Espoir... et mille mots voilés!

Non! - Sa joue est de flamme et son corps s'aérise!

Son regard d'une étoile a pris une étincelle
Qui brille, astre d'un soir, sur un orbe d'azur
Dont la fatigue seule, en la rasant de l'aile,
A, jusqu'à l'autre aurore, entouré son oeil pur!

Mère, dors! l'oeil mouillé, ne compte pas les heures!
- Parce que ton enfant te fait mettre à genoux,
Qu'un céleste reflet luit à son front, tu pleures ....
Qui sait? un ange peut s'égarer parmi nous!

Il peut .... Mais, ô Seigneur, pourquoi moi qui console
Sens-je sous ma paupière une larme glisser?
Ne pares-tu son front qu'afin qu'elle s'envole?
Dépouille-t-elle ici ce qu'elle y doit laisser?

Ton lys prend l'or du ciel avant que tu le cueilles!
Oui, le corps, jour par jour, voit fuir en son été
Ce qu'il a de mortel, comme un arbre ses feuilles!
Et l'on se fait enfant pour l'immortalité!

Chaque chant de l'horloge est un adieu funèbre
Ô Deuil! un jour viendra que ce sera son glas!
Heure par heure, glisse un pas dans les ténèbres
C'est le pied de la mort qui ne recule pas!

Lorsque son oeil rêveur voit dans l'azur qu'il dore
S'élever le soleil derrière un mont neigeux,
Son coeur bat: elle est morne et crie en pleurs aux cieux
" Hier! hier! hier! rendez-moi son aurore! "

II

Hier! hier!... il est bien loin!
Le temps a soufflé dans sa voile!
Non! hier à ce jour n'est joint
Que par la chute d'une étoile!
Hier! spectre, que nous priions
A genoux : - et dont nous rions!
Astre qui dans la nuit immense
S'éteint sombre de souvenir
Lui qui brillait tant d'espérance!
- Hier ne peut plus revenir!

Hier, la fleur pâlie!... hier, le rocher sombre
Qui se dressait géant - et qu'a rongé le flot!...
Hier, un soleil mort! une gloire dans l'ombre!
Hier!... qui fut ma vie, et qui n'est plus qu'un mot!

III

Ö mal* traître et cruel! la vierge se fait ange
Pour éblouir nos yeux avant d'aller à Dieu!
Nous voulons l'admirer... - l'aimer... - une aile étrange
Sous nos baisers blanchit... puis un jour dit adieu!

Sa mère en son linceul voudra dormir comme elle!
- " Sa mère, elle n'en a, tombée un jour du ciel! "
- Mais une femme au moins lui prêta sa mamelle, La berça de longs soirs, la bénit à Noël!

Mais ses soeurs chaque jour la voient quitter la terre!
Ses trois soeurs que sa tête - ainsi qu'un épi d'or
Règne sur la moisson - domine à la prière!
- " Sa soeur est l'ange : au ciel elle prend son essor. "_

Mais ses frères naissants, ne voyant plus dans l'ombre
Au dortoir enfantin sa céleste lueur,
Demanderont le soir à leur père, front sombre,
Seuls riants dans les pleurs : " Où donc est notre soeur? "

Où donc est votre soeur - elle est où l'a ravie
Dieu que vous bénissez et qui brise les coeurs
Et c'est pour vous apprendre à pleurer dans la vie
[vers manquant]

Et les pauvres diront: " Voici l'hiver qui glace! "
Sous la brise les fleurs chanteront : Dies irae!...
Jour de colère... eh! non, pour Dieu sans pleurs il passe. - Et moi, je maudirai!

Dieu, ton plaisir jaloux est de briser les coeurs! Tu bats de tes autans le flot où tu te mires! - Oh! pour faire, Seigneur un seul de tes sourires, Combien faut-il donc de nos pleurs?

1"juillet 1859

  • Harriet Smythe est morte de la poitrine

4

SA TOMBE EST FERMÉE!..

11 juillet 1854 [sic]

" A notre maison blanche où chante l'hirondelle,
" Dans un bois verdoyant, vous viendrez " disait-elle
" Nous cueillerons les fleurs que cachent les grands blés,
" Le soleil, qui les dore, a fait mes pieds ailés,
" Et, le soir, au foyer où chaque coeur s'épanche
" Nous ferons pour ma mère une couronne blanche... "

La fleur rit aux épis: l'alcyon chante encor
Elle seule a passé .... - Sous un saule elle dort.

Albion! Albion! vieux roc que bat l'écume
Devais-tu donc lui faire un linceul de ta brume!
On ne savait donc pas que sous ton sombre ciel
Le soir où dort la fleur est un soir éternel!
Et qu'au lieu de rosée, aux reflets de l'aurore,
Des pleurs inondent seuls son calice incolore!
Non. Son père l'aimait, vieillard à qui les ans
N'ont point ravi l'amour pour prix des cheveux blancs,
Et l'amour, comme on sait, est soeur de l'espérance.
Il disait, plein d'espoir: " Dieu que le ciel encense
" Ne peut point envier l'ange de notre toit. "
Car le soir, au foyer, quand son timide doigt
Dans la bible aux clous d'or où prièrent ses pères
Faisait épeler " Ruth " à ses deux jeunes frères,
Le soir, on eût pensé qu'un ange voyageur,
Comme ceux qu'ils voyaient au livre du Seigneur,
Sous leur tente venait révéler ses purs charmes,
Et bénir la famille, et sécher quelques larmes,
Et porter aux enfants un baiser du Très-Haut!

Que vont-ils devenir, hélas! loin de son aile
Sous laquelle, en volant du foyer, l'étincelle
Brillait comme une étoile et rappelait les cieux?
A Noël, quand vibrait son chant mélodieux,
Un silence pieux planait sur chaque tête
Seule, la mère, au soir, songeant à l'autre fête,
Sentait battre son coeur et se mouiller son oeil.
Elle, riant, disait: " Mère, pourquoi ce deuil?.. "

Pourquoi ce deuil, ô mère? Harriet est l'auréole
Qui luit sur sa famille et dont l'éclat console.

C'était l'âme de tout! La France au ciel d'azur
A pleuré de la voir fuir son beau soleil pur.
Son lac américain, où le Niagara brise
L'algue blanche d'écume, a gémi sous la brise
" La mirerons-nous plus, comme aux hivers passés? "
Car, comme la mouette aux flots qu'elle a rasés
Jette un écho joyeux, une plume de l'aile,
Elle donna partout un doux souvenir d'elle!
De tout... que reste-t-il? que nous peut-on montrer?

Un nom!... sur un cercueil où je ne puis pleurer!
Un nom!... qu'effaceront le temps et le lierre!
Un nom!... couvert de pleurs, et demain de poussière
Et tout est dit!

Oh! non! doit-on donc l'oublier?
Qui sut se faire aimer ne meurt pas tout entier!
On laisse sa mémoire, ainsi qu'aux nuits l'étoile
Laisse un pâle reflet, que nulle ombre ne voile
Et, mort en son cercueil, on revit dans les coeurs!
Non!... tout n'est pas perdu! Pour endormir leurs pleurs
Le soir elle viendra sous les ailes d'un ange
A ses soeurs murmurer des neuf choeurs la louange!
Dans leurs rêves dorés ses frères sur leur front
Sentiront un baiser, et, ravis, souriront.
Quand la brise des nuits sous la lune argentée
Gémira par le parc en la feuille embaumée,
On la verra passer comme une ombre d'azur
Et le matin la fleur sera d'un bleu plus pur!

Enfants, oh! pleurez-la comme une soeur éteinte,
Mais aussi priez-la comme on prie une sainte
Le soir, à la prière où manquera sa voix,
N'oubliez pas un nom gravé sous une croix!
Car c'était une vierge au regard d'innocence
Que le ciel vous prêta pour bénir votre enfance
Il lui rendit son aile, elle revint à Dieu!
Mais en partant, du moins elle vous dit: adieu...
Vous avez sur ce lit, où notre rêve expire,
Baisé sa main tremblante, en son dernier sourire!

Hélas! plus que le vôtre il est un coeur brisé!
Loin, derrière les flots, rêvant au lys glacé
Une soeur, l'oeil en pleurs, a maudit l'espérance
Qui lui disait, trompeuse: " Aux lacs de ton enfance
" Retourne la première: avec les fleurs, l'été .
Va rendre, à toi ta soeur, à ta soeur sa santé! "
Au cercueil elle aussi va demander sa couche
Pour n'avoir pas, hélas! recueilli sur ta bouche,
Harriet, ce mot d'un coeur qui se fait immortel,
Le dernier de la terre et le premier du ciel!
Ah! pleure infortunée! En ta barque perdue
Seule tu n'auras point pour reposer ta vue,
Ce tableau déchirant, mais qui brille si doux,
De l'ange qui bénit sa famille à genoux!
Et moi .... N'était-ce assez pour ta faux déplorée,
Dieu, d'avoir moissonné ma soeur, rose égarée
Dans les épis que l'âge a courbés vers le sol?

Non! à l'ange des morts tu marques un grand vol!

Et quand je pleure, ô Dieu, tu ris dans la fumée
Qu'exhale en blancs flocons, au ciel, l'urne embaumée.
Tu ris!... et comme toi rit l'heureux univers.
L'oiseau boit la rosée et chante dans les airs
La fleur sous le zéphyr que sa senteur parfume
Berce le papillon qui, riant sur l'écume
Se mire au flot d'azur, écoute son doux chant
Et le soleil n'a pas moins de pourpre au couchant,
Le lac n'est pas moins pur, sa voix n'est pas plus sombre,
De moins d'astres le ciel ne sème pas son ombre!
La nature dit : Joie, et l'écho chante : Amour!
Et, narguant mes pleurs, tout poursuit joyeux son jour!

Elle est morte!... et demain le siècle qui succombe
Lui donnera l'oubli, cette seconde tombe!
Foulant sa cendre aux pieds, les autres passeront
Sans prier à genoux, sans détourner le front!
D'autres épis comme elle avant qu'on ne moissonne
Tomberont..: d'autres pleurs couleront! et personne
En entendant ces noms, hélas! ne sourira!

. Elle est morte! " dit-on - puis chacun l'oubliera!

Pourquoi montrer ces coeurs, ô Dieu qui les protèges,
Pourquoi les faire aimer, si, comme pour les neiges
C'est assez d'un rayon .... pour fermer leur cercueil?
Fleur par fleur, chaque soir, on voit, la larme à l'oeil,
S'effeuiller sa couronne - où demeure l'épine!
Éperdu dans ce deuil, on sent que l'on s'incline
Où va la feuille jaune, et qu'il faut, - ô destin!

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Dernière modification le 30 mars 2007 à 10h09