Flux Mallarméens
ÉLABORATION D’UNE RECHERCHE SUR LA “ SIGNALÉTIQUE “ CHEZ MALLARMÉ !
FLUX MALLARMÉENS
AUTRE EVENTAIL de Mademoiselle Mallarmé O rêveuse, pour que je plonge Au pur délice sans chemin, Sache, par un subtil mensonge Garder mon aile dans ta main. Une fraîcheur de crépuscule Te vient à chaque battement Dont le coup prisonnier recule L’horizon délicatement. Vertige ! voici que frissonne L’espace comme un grand baiser qui, fou de naître pour personne, Ne peut jaillir ni s’apaiser. Sens-tu le paradis farouche Ainsi qu’un rire enseveli Se couler du coin de ta bouche Au fond de l’unanime pli ! Le sceptre des rivages roses Stagnants sur les soirs d’or, ce l’est, Ce blanc vol fermé que tu poses Contre le feu d’un bracelet.
Ce poème, paru pour la première fois en 1884, permet d’entrer dans la fabrique de Mallarmé. Il précède de trois ans la trilogie élisabéthaine, “ Sonnets I, II, II “ et leur vertigineuse méditation sur le statut de l’objet. La démonstration tendra à établir cette vérité si évidente, et pourtant assez peu étudiée, que toute la poésie de Mallarmé, à partir d’ “ Hérodiade “ n’est plus qu’ “ allégorique d’elle-même “. Et si on est amené à parler de flux mallarméens c’est parce que la pensée, dans ces parages, à comme tendance à être obligée de transiter entre les notions sans plus savoir ce qui, dans notre propre discours, se trouve validé comme cause, et ce qui l’est comme conséquence. L’effet de cette poésie serait d’entraîner, chez l’observateur, une manière de réversibilité de ses concepts, et qu’alors ce soit bien l’objet, ici un poème, qui en vienne à receler toutes les idées qu’on peut en tirer - de telles façon que ce ne sont plus les idées qui expliquent le poème, mais, au contraire, le poème qui soit la seule explication possible de tout ce qu’on en est amené à dire. Ceci vient correspondre à ce que Mallarmé lui-même a été amené à énoncer, en 1867 “ : ma pensée s’est pensée...“ De même on peut voir que dans l’expression “ Poème allégorique de lui-même “, utilisée dès la première version du sonnet en -ixe, à savoir dès 1868, le texte va bien se condamner à n’être plus que sa propre glose, ce qui, soit dit en passant pose des problèmes de conception, comme on le verra. Cette glose qui semble ne plus reposer sur rien, est, néanmoins, présentée à l’aide de la poésie, dans un langage, donc, figuré qui mettra en œuvre, alors une figure-figurante. Quoi donc sera alors premier, du “ mirage des mots même " ou de la pensée qui se voit en eux, justement parce qu’ils auront bien absorbé, dans une sorte d’auto-phagie, leur propre énergie de média, qui, lui, ne semble plus transiter vers nulle part ( permettant à chacun d’y lire le reflet d’une impossibilité à communiquer moderne... ) On verra, donc, dans une première partie, comment Mallarmé, en jouant avec la langue, lui fait produire des énoncés purement virtuels, imprononçables, comment, deuxième partie, ce jeu des mots entre eux devient un piège mental où ce qui se trouve pris n’est rien d’autre que la capacité fictionnelle, elle-même, la fiction se révélant bien être, selon le grand maître Curtius “ pour la littérature européenne l’arrière-plan qui ferme son horizon “ ( le propos est, déjà post-moderne ), puis,troisième partie, comment le langage, lorsqu’il en vient à perdre toute transitivité, est conduit à produire, dans le cas de “ Autre Eventail “, un texte qui enferme et fait disparaître sa propre énergie, et, enfin, comme si quelque chose pouvait résister à cette véritable asphyxie mentale, comment, donc, l’opération “ allégorique d’elle-même “ , si elle se révèle bien être, sans dire une imposture, mais, tout au moins un piège de plus par lequel s’assure de soi une entreprise vertigineuse qui, nous semble-t-il permet d’interroger rien moins que la réalité du monde où nous vivons. L’enquête commencera par un passage tiré de la “ Correspondance, vol VI “, qui dit : “ Le principal est de bien voir que la littérature est reconstitution humaine par la langue et sa gloire, de tels élans intérieurs, fulgurants et primitifs qui se limitent à eux-mêmes, ne requièrent pas la parole et sur elle demeurent sans action immédiate. " Par où on voit bien que l’existence de la littérature n’est validée, par Mallarmé, que pour autant que se tient vis-à-vis d’elle-même dans un rapport d’hétérogénéité et d’extériorité ( la littérature est le poinr de fuite, c’est-à-dire le point à partir duquel le texte n’est plus que le fantôme de lui-même. ) Ce qui habite la littérature n’a plus besoin des mots pour exister. Rappelons que la postérité de Mallarmé ce sera Artaud. Et si les “ élans in térieurs “ semblent avoir, icic, quelque réalité, ce sera bien en se soustrayant à l’abstraction du langage, alors que, paradoxalement, le message des poème se verra de plus en plus grevé de matérialité, ne faisant plus fonctionner que la surface des mots, en les rendant, du même coup à leurs identités virtuelles. Nous verrons, ainsi, en passant, que ce qu’il peut subsister de message à cette poésie consiste à désigner, et à rendre sensible, ce qui limite l’espace. Donc, et cela se vérifie, là où le message est le plus emprisonné dans sa matière - de telle façon que l’horizon fictionnel s’y trouve réduit, et, à la fois diffracté - ce message n’aura plus d’autre sens que de nous faire sentir et imaginer la limitation, non seulement de tout énonciation, mais encore de toute représentation, voire même de toute pensée. Tout aussi bien, lorsque les mots “ se limitent à eux -mêmes “ l’idée de ce contre quoi ils en viennent à buter est celle de leur matière. Il s’agit justement là d’un flux qui fait transiter la pensée d’une idée à l’autre, d’une manière tellement logique qu’on ne sait plus laquelle est l’origine, ou le point de départ de l’autre. Nous nous fondons sur l’examen de l’expression “ ce l’est “, pour dire qu’elle n’est autorisée et permise que par la langue écrite, alors qu’elle en vient à échapper à toute possibilité d’énonciation par la “ vraie “ langue, orale. La langue en vient bien à ne plus être qu’une pure virtualité qui n’accède à l’existence que sous forme d’accident. C’est, à notre sens, dans cette formulation de “ ce l’est “ qui vient résider une chose imprononçable. L’expression n’est saisissable que par un esprit capable de recomposer, même si c’est par un réflexe grammatical, donc très “ mentalisé “, cette séquence à laquelle le travail du texte devra trouver une résolution, un point d’appui. L’énigme ne sera résolue, c’est-à-dire, du même coup, résorbée qu’au moyen de cette rime dite équivoquée, ou encore rime-calembour, par le mot de “ bracelet “. Ce mot viendra frapper comme une sorte d’éblouissement, c’est-à-dire, à la fois, d’embarrassement ( tant son énonciation semble lourde ), d’embrasement ( tellement il offre de surfaces “ miroitantes “ ), et d’embrassement ( car il est bien, de soi, une vraie “ synthèse du divers “, selon la terminologie kantienne ). Le mot vient, ainsi, ralentir, immobiliser et figer, dans sa réalité, ce qui était resté en “ suspend vibratoire " dans la séquence “ ce l’est “ . de fait nous sommes bien dans un travail sur la limite, l’ambition de Mallarmé, avouée, étant de se tenir dans une distance vis-à-vis du système. Le vers, ainsi, doit aboutir à “ la formulation d’un mot neuf, étranger à la langue et comme incan tatoire “. ( O.C. p.318 ) Il s’en déduit que ce qui en vient à être absent de cette poésie, c’est la langue elle-même ; Paradoxe. La langue permet, comme on le voit, de produire des énoncés qui ne peuvent plus lui appartenir. Le problème du référent se pose, du même coup. Cette chose, qui échappe même au système, depuis son intérieur, à été théorisée par Mallarmé. Ainsi, on trouve, dans “ Le mystère dans les lettres “ : Il doit y avoir quelque chose d’occulte au fond de tous, je crois décidément à quelque chose d’abscons, signifiant fermé ert caché, qui habite le commun. “ Il y a plus d’un rapport entre le “ mot neuf, total “, et ce “ signifiant fermé et caché “. En effet, le mot qui échappe au système se dérobe, du même coup, non seulement à cette malédiction du sens mallarméenne, mais encore à ce devoir d’avoir à transiter vers l’interlocuteur. Le moindre paradoxe ne sera pas que cette énergie qui se replie sur elle-même, semblant soumise aux assauts furieux et primaires de l’inconscient, n’aboutisse jamais qu’à des énoncés identifiables. Un quatrain-éventail illustrera bien le propos : Autour du marbre le lys croît Brise ne commence par taire Fière et blanche son regard droit Nelly pareille à ce parterre. Le thème est une sorte de paysage antique, revisité par le symbolisme, et pourrait évoquer “ L’île des morts “ de Gœtlin. L’évocation de ce “ marbre “, qui est à rapprocher de la “ fulgurante console “, du “ col ignoré “, de la trilogie de 1886, et entre en résonnance avec ce “signifiant fermé et caché “ que nous ven ons de citer. Ici c’est bien ce mot de “ marbre " qui en vient à se répandre à travers tout le quatrain-éventail ( le son “ ar “ est repris quatre fois, tel quel, et deux fois, en miroir dans le son “ roi “. Le texte fonctionne avec des effets de plissements, de concaténation, de condensation ( processus primaires de l’inconscient ), comme on peut le voir dans le simple mot de “ Brise “. Ce mot retient en lui, à l’état de trace fantômatiques, les reflets à la fois du “ marbre “ et du “ lys “. La poétique mallarméenne a ceci de particulier que les figures de mots ( les allitérations ) en viennent à effectuer les processus mis en œuvre par les mots, c’est-à-dire que le sens des mots est, sans arrêt, soumis à la juridiction du rappel des sonorités. Le mot ne peut être prononcé par Mallarmé que pour autant qu’il réalise, qu’il effectue, dans sa matière ce qu’il dit, ce qu’il énonce. Ici, le mot de “ Brise “ possède dans sa matière le résultat de cette circulation entre le “ marbre “ et le “ lys “, qui est ce que signifie le mot. On peut, du coup, avancer l’hypothèse que l’inconscient en vient à être nié par Mallarmé, ses opérations ramenant toujours à du connu. Par ailleurs il faut s’intéresser, comme toujours chez Mallarmé, au mot qui conclut le poème, en formant une chute, une cadence. Ce mot est, ici, “ parterre “. Et ce “ parterre “ est l’image qui s’offre pour traduire l’identité de cette “ Nelly “ dont il est question. Ici, donc ( mais on retrouvera cette réalité ailleurs, dans le sonnet en -ixe, et dans “ Salut “ ) ce qui “ tient “ le sens du texte est une figure géométrisée, simplifiée qui ne représente, précisément, qu’une limite de l’espace. Notre idée est de tirer de ces constatations l’hypothèse d’une signalétique généralisée de Mallarmé. Dans le “ Sonnet allégorique de lui-même “le mot conclusif est “ septuor “, et il évoque ce signe très archaique formé par les étoiles de la grande ourse. Dans “ Salut “, “ Le blanc souci de notre toile “ sont “ Solitude, récif, étoile “. Dans ces diverse occurences ce qui se trouve mis en scène ce ne sont que les limites de l’espace lui-même. On trouve, chez Kant, dans “ La critique de la raison pure “, ceci : “ L’espace ne se compose que d’espaces et le temps de temps. Points et instants ne sont que des limites, c’est-à-dire de simples places, où l’espace et le temps ont leur limitation. “ Le mot n’est plus que le fantôme irisé, que le spectre, que le réceptacle de flux qui transmigrent de l’un à l’autre, d’une façon, quoiqu’en dise Mallarmé, soumise au hasard. De fait la disposition de mot dans le vers annule bien le hasard, mais le fait que le mot soit tel ou tel, cela est bien dû au hasard. Ainsi, ce qui “ ferme l’horizon “ de la poétique de Mallarmé ce n’est pas seulement le mot qui emprisonne la fiction, mais c’est la langue elle-même. Un e image récurrente, celle des sirènes qui se noient, et qu’on trouve au deux extrémités du recueil poétique, dans “ salut “ et “ A la nue...“ montre bien qu’il ne reste plus de la mythologie que les effets de surface qu’elle produit à mesure , à la fois qu’elle rejoint son destin ( les destin des sirènes est bien de retourner à leur élément ), et que c’est l’élément bestial, archaique, primordial qui, alors apparaît à la surface. La queue de la sirène est bien une figure auto-allégorique de la poésie : les deux croisent leurs extrémités, et finissent par dévoiler leurs artifices. L’idée est que ce qui reste de la fiction, chez Mallarmé, c’est, virtuellement, jamais vraiment actualisé, destiné à rester dans le lointain, le jeu des allitérations. Dans “ Autre Eventail “, on trouve, justement, ce mot d’ “ horizon “. Et cet “ horizon “, donc, “ recule “. Pour nous, ce qui en vient à “ reculer “ de la sorte, c’est, intrinsèquement inscrit dans le poème, sa chute, sa cadence, dont on sait qu’ici elle vient résoudre une énigme, qui, elle laissait dans un suspens le verbe “ être “ ( par où on peut voir que l’interrogation qui porte sur ce verbe est très forte, contrairement à ce qu’on pense ordinairement ). La cadence est depuis Bach, ce qui ordonne toute la musique. Ici elle est donnée par le mot de “ bracelet “. Ce qui “ recule “ c’est cette cadence au-delà de laquelle s’ordonne la confrontation avec le blanc du papier. Par ailleurs il faut bien voir que c’est le fantôme de la Grande Oeuvre, de l’Oeuvre totale qui, en en venant à “ reculer “ toujours plus loin, aura commandé à Mallarmé à n’écrire plus, à partir d’ “ Hérodiade “, poème impossible à terminer et qui devait être l’introduction à l’ Oeuvre, que des poèmes “ allégoriques d’eux-mêmes “. C’était là une manière de la préserver, cette Oeuvre. Si la résolution cadencée du texte est dans le mot de “ bracelet “, on peut remarquer que le territoire de la fiction est, quand même, désigné par le poète dans l’expression “ paradis farouche “. On peut démontrer, par un petit recours de l’étymologie que le “ paradis “, lorsqu’il est “ farouche “, est, en fait, rejeté à l’extérieur du discours. Le mot-calembour “ bracelet “ vient, ainsi, obturer, masquer, faire disparaître l’étrangeté de l’expression “ ce l’est “. Il fallait bien quitter cette fiction de cette Oeuvre Totale, il fallait que son horizon fût inaccessible, virtuel, extérieur impossible à localiser - et on ne sait plus au juste ce qui a déterminé l’autre de cette énergie qui sature le texte ou de cet extérieur qui n’existe plus tant la cartographie des textes semble baliser tout le champ du possible - il fallait donc cela pour que la littérature ne fût plus qu’une “ rature “, comme dans le distique “ Le sens trop précis rature Ta vague littérature “. La “ rature “ est, à l’égal de ce à quoi se ramène l’existence des élément fondamentaux de la matière, c’est-à-dire de traces sur une écran pour les physiciens actuels, une marque sur une surface. L’Oeuvre se ramènera à rien, malgré toutes les tentatives qu’on a pu faire pour essayer de la “ ranimer “, comme si, dans la réalité elle était vraiment ce Phénix célébré par Mallarmé. “ La musique dans les lettres “ : “ le décryptage impie de la fiction et conséquemment du mécanisme littéraire, pour étaler la pièce principale, ou rien “. Ce qui aura bien été réalisé se situeront dans un espace paradoxal qui est privé de toute extériorité. Car la fiction de l’Oeuvre Totale est vient à devenir cet extérieur lui-même - comme si à l’extérieur de l’espace il pouvait exister quelque chose, ce qui, selon Kant, toujours, n’est, proprement, pas possible. Les réserves fictionnelles de l’auteur, son rêve, ne pouvaient pas avoir lieu. “ Empire “ de Toni Négri : “ Le gouvernement de l’Empire n’a pas de limites. Avant toute choses, donc, le concept d’Empire pose en principe un règne qui englobe la totalité de l’espace. “ Négri et Kant ne sont pas loin l’un de l’autre... Les textes, de fait, utiliseront totalement l’espace qui leur reste, le satureront même. Il suffit d’évoquer la manière mallarméenne de boucler les textes sur eux-mêmes. Ce que les mots gagnent en présence matérielle ils ne font plus que l perdre sur le plan de la transisitivité. Revenons à l’expression “ paradis farouche “. Il s’agit là, par excellence du lieu de la fiction. Le Petit Robert dit du mot “ farouche “, qu’il est issu d’une racine latine qui signifie “ en dehors “, ou, “ à la porte “. Mallarmé, pour ainsi dire, enferme la fiction, mais à l’extérieur de son texte. Dans l’analyse de l’énergie qui circule dans le texte - en tant qu’élément plus ou moins concret, cette énergie serait celle qui anime l’objet-éventail, ses mouvements, et sa charge érotique - donc cette énergie, si elle existe, est ,de fait, bouclée sur elle-même, interdite d’existence, asphyxiée. L’impulsion est bien “ limitée à elle-même “. Nous sommes en présence d’une vraie stratégie d’évidement de la représentation. Reprenons, on a ainsi un “ plongeon “ initial, qui est privé d’espace, ( il est dit “ sans chemin “ ), ensuite on trouve u ne “ horizon “ qui “ recule “, puis on arrive à un “ espace “ très problématique, pris entre deux impossibilités, celle de se divulguer ( “ ne peut jaillir “ ), et celle de se contraindre ( “ ni s’apaiser “ ), on transite à travers l’expression “ unanime pli “ - et, dès lors, il ne reste plus à l’esprit que sa propre image en train d’opérer, l’image renvoyée n’étant plus que celle de l’image de l’image en train de se constituer - autant dire que la représentation se représente dans sa propre action. Cet “ unanime pli “ sera ainsi le lieu - à ce ci près que n’étant plus que virtuel, n’étant plus, de lui-même qu’une sorte de vide quantique, où les événements en sont réduits à se nier les uns les autres - le lieu, donc où les ondes se propagent, où les événements peuvent se produire. Dans le “ pli “ l’énergie du poème vient se recueillir, se déposer, et, en fait, disparaître. L’auto-allégorisation semble fonctionner alors à plein, l’image n’étant plus qu’une figuration de la figure elle-même. Du “ pli “ rien ne dépasse plus. Il figure l’espace pris dans un mouvement de repli, c’est le cas de le dire, sur lui-même. Le flux est ici à l’œuvre, la pensée de l’observateur se trouvant ^prise au piège de sa propre conception. En effet, faut-il dire que c’est parce que la matière mentale ne vient à s’épuiser que le seul refuge est dans l’auto-allégorie, ou l’inverse, l’auto-allégorie ne permettant d’autre énoncé que bouclés sur eux-mêmes, intransitifs et semblant bien dévorer leur propre énergie ? ! Il faut tenir compte du vertige qui prend l’observateur devant la poésie de Mallarmé, il fait partie du processus. Le vertige est, ici, une réaction normale. Le résultat est bien que la pensée est comme prise dans une sorte d’étau mental. Il semble que, dans le processus auto-allégorique, tel qu’énoncé nous soyons bien en présence de la notion qui permet de comprendre Mallarmé. Il ya bien, au départ, un moment où la langue se révèle impraticable, si ce n’est qu’au titre d’une matière qui, dans sa présence, reste inacceptable, parce que dans un écart par rapport au système. A l’instant même où le langage semble “ prendre “ dans l’éprouvette du chimiste-fumiste( selon l’expression de Roger Dragonetti ) - poète, on peut penser que c’est l’altérité qui vient se loger au sein de la langue. Mais le vers peut-il vraiment être extérieur au système ? ! Il semble que non.
Il y a bien un point “ zéro “, un “ ground zero “ ( pour rendre actuel ce qui n’a pas besoin ), à partir duquel se reconstitue l’existence du poète. Ce “ Point Zéro “ est ce qui l’autorise à être poète, et il necessite l’auto-allégorie - ou, inversement - . C’est par là que se fixe le sujet - scripteur dans sa propre représentation de lui-même. En effet, se situer en tant que poète, ce sera bien, pour Mallarmé, se situer dans la fiction de lui-même telle qu’elle prend son assise à partir, précisément de ce “ point zéro “ qu’aura été la naisance d’ “ Hérodiade “. On trouve, sous sa plume, la formule : “ Ma pensée s’est pensée. “ Et si l’expression semble s’abolir en elle-même, elle n’en est pas moins pour autant un événement, inscrit dans une chronologie, identifiable, localisable, le point de départ d’une fiction. Il s’en suit suit que, dès lors, le sujet devient opaque à lui-même. La langue qui pourra se pratiquer sera toute entière aspirée par cet espèce de trou noir - qui ne sera plus visible que par son absence de lumière, tellement son importante gravité interdira à celle-ci de se produire ( de transiter ) - ce qui amènera, comme conséquence que la vitre de la représentation en viendra à se troubler, le langage semblant, alors, devenir à lui-même son propre obstacle. Et si, pour reprendre le texte, il y a bien un “ frisson " qui court partout chez Mallarmé, c’est bien en tant qu’effet épidermique - de réflexe - par lequel se laisse imaginer ces trajectoires folles des sons au travers des mots, cette circulation débridée d’intensités, de signaux, qui sont, à la fois, le moyen ( le média ), et le résultat ( perçu par le lecteur ). Le “ frisson “ n’affecte que la surface, certes, mais il la rend tangible, et opaque. C’est dons lorsque l’écran de la représentation se laisse voir et appréhender - ici, par la pratique obsessionnelle de l’allitération - étant, alors, piégée au jeu de la fascination par lui-même, c’est alors, donc, que rien ne devient plis perceptible, ni énonçable, que des figues de la limite. Il s’en déduit, logiquement, une esthétique de la signalétique, qui, au reste, serait aussi valable pour Flaubert, voire pour Faulkner... L’auto-allégorie, déjà analysée dans l’expression “ unanime pli “ est effective, tout uniement, dans la strophe 2 : “ Dont le coup prîsonnier recule L’horizon...“ Le “ coup “ est la plus petite unité percetible, et saisissable pour parler de l’éventail. Le mot “ prisonnier “, lui, évoque les “ échos esclaves “ du sonnet, déjà mentionné “ A le nue...“Et cette “ prison " qui en vient à s’affronter avec l’ “ horizon “, c’est, bien sûr, la poésie rimée, elle-même, en tant que ce piège où vient se prendre, s’anuller, se perdre, l’énergie fictionnelle des mots ( il suffit de se rappeler des sirènes ! ). Toutefois on peut remarquer que le processus d’engendrement du texte “ allégorique de lui-même " vient buter sur une impasse, ne serait-ce que dans son concept. En effet, il faut bien que qu’au départ le poème ait une réalité pour qu’il puisse entre^prendre de se figurer lui-même ! Mais cette réalité initiale, si elle subsiste en tant que référent des mots, ne s’en trouve pas moins pour autant, bel et bien, vidée de toute énergie, de toute transitivité. Au final, vouloir rendre compte - figurer - la figure de mots produite sans cesse par la poésie ( depuis Homère ), est une entreprise vouée à l’échec, étant donné que le figural est bien dans un rapport de déconstruction par rapport au système lui-même, venant loger de l’épaisseur au sein d’un système que ne s soutient que de sa transparence. Et ce jeu de la langue peut à peine être explicité ( il peut toutefois être observé ), mais il tient son existence dans un mystère. L’écart par rapport au système peut bien être ce par quoi le système se soutient lui-même. Mallarmé prend le parti de faire du trouble de la langue son objet. Le point le moins curieux n’est pas que les mots, sous sa plume, réussissent à tenir en eux-mêmes le sens de l’action qu’ils produisent, dans leur matérialité. Le régime auto-allégorique semblant produire des énoncés qui ne tiennent leur assise que dans la réalité du mot qui devient, de lui-même, l’image de lui-même, ce qu’il désigne n’étant plus que ce qu’on peut se figurer, s’imaginer, de ce qu’il recèle, en lui, de virtualités - et, ce à mesure que, réalisant, rendant réel ce qu’i signifie, il semble bien en rejeter l’existence à l’écart de lui-même, dans ce qui serait un bouclage définitif de toute parole. Ainsi on serait tenté de penser qu’on récupère de la fictionnalité ! A ceci près qu’elle ne pourrait plus être qu’hallucinatoire ( voir les délires étymologiques de Mallarmé, dans “ Les mots anglais “ ). Ce qui peut se dire ce ne peut plus être qu’au détriment de la transparence du système. De son o^pacification, dans une apparence de transgression, qui est bien, au final, récupérée par le système lui-même.
Dons, de fait, “ Rien n’aura eu lieu que le lieu ". Et, de fait, ce “ Lieu “ possède bien le mot “ Lieu “, comme étant son nom. Et c’est bien là où se joue l’existence des choses pour Mallarmé, c’est-à-dire dans le fait qu’elles n’ont plus d’existence, plus aucune extension, que celle que leur apport leur nom. Le mot “ Lieu “ tient bien place de la notion de lieu. Et, pour revenir à Kant, rien n’est pensable en dehors de l’espace qui, du coup, devient pensable dans son intégralité. Tout est, ainsi, lié, et l’espace de la pensée représentative aboutit à la notion même de disparition de l’extérieur.
Article proposé le mardi 8 novembre 2005, par strap.