Les Confessions littéraires

Page créée le 29 mars 2007 à 22h39 par François Direz print pdf

Cet article fut publié le 3 août 1895 dans le supplément littéraire du Figaro par Austin de Croze. Il faisait partie d’un enquète où figurait Mistral, François Coppée, Catulle Mendès, Heredia...

Les confessions littéraires : le vers libre et les poètes.

Comment pourrons-nous rendre cette musical souplesse de la voix chaude, ce coloris du geste large, cette harmonie de la pensée sereine, lorsque l’auteur de l’Après-midi d’un faune, le maître incontestable du Symbolisme, et si parnassien quoi qu’il en ait, nous parlait de Mistral et de la Poésie ?...

-Mistral ? nous dit M. Mallarmé, Mistral est le plus noble poète, le plus populaire, le plus "vrai" de notre époque ; ce qu’il fera, sûrement sera grand et beau, noble et bon. C’est un merveilleux coquillage où se répercute et bruit le bruit des flots, les naturelles harmonies. Cette conque superbe nous redira en échos de libre Beautés les murmures, les rumeurs et les clameurs et la vie du Rhône.

-Le Midi conquiert le Nord !

-Quand le Nord a conquis le Midi... voyez, Gustave Kahn, Griffin, moi-même, depuis combien de temps prêchons-nous pour le vers libre ?... Désabusé par la banalité qu’amènent la fréquence et l’abondance des poèmes, leurs longueurs, leurs redites, le poète doit se forger un instrument personnel ; mais qu’il ne l’impose pas aux autres, s’il veut rester lui... Edgar Poe a dit : "Il n’est point prétexte à long poèmes" ; j’ajouterai : "nous ne pouvons chanter tout le temps". Les occasions sont rares qui exigent toute l’ampleur du Verbe, tout le chatoiement de la parole, toute la symphonie des mots. C’est pour l’avoir méconnu que les Parnassiens voient leut oeuvre s’affaiblir.

-Quelle est toute votre pensée sur le poésie parnasienne ?

-Pour moi, le vers classique -que j’appellerais le vers officiel - est la grande nef de cette basilique "la Poésie française" ; le vers libre, lui édifie les bas-côtés pleins d’attirance, de mystères, de somptuosités rares. Le vers officiel doit demeurer, car il est né de l’âme populaire, il jaillit du sol d’autrefois, il sut d’épanouir en sublimes efflorescences. Mais le vers libre est une belle conquête, il a surgi en révolte de l’Idée contre la banalité du "convenu" ; seulement, pour être, qu’il ne s’érige pas en église dissidente, en chapelle solitaire et rivale !... Sachons écouter les grandes orgues du vers officiel où des doigts virtuoses firent exulter des cantates de gloire, frémir des caresses d’amour, vibrer des plaintes de vie ; puis, n’oublions pas que l’Art est infini... Tenez, Vielé-Griffin me disait excellement - lors de son dernier poème Pallaï - : "Ne voyez en ces vers qu’un simple état d’âme." Oui, la Poésie n’est que l’expression musicale et suraiguë, émotionnante, d’un état d’âme ;le vers libre est cela. En résumé, peu mais bon.

Pouvait-on mieux dire ?

Et voici des vers que, par jeu, le poète voulut bien écrire à notre intention pour cette enquète :

    Toute l’âme résumée 
    Quand lente nous l’expirons 
    Dans plusieurs ronds de fumée 
    Aboli en autres ronds 

    Atteste quelque cigare 
    Brûlant savamment pour peu 
    Que la cendre se sépare 
    De son clair baiser de feu 

    Ainsi le choeur des romances 
    A ta lèvre vole-t-il 
    Exclus-en si tu commences 
    Le réel parce que vil 

    Le sens trop précis rature 
    Ta vague littérature 

Qu’on ne s’étonne pas si nulle ponctuation ne précise ces vers - banvillesquement rimés : ce fut par expresse volonté du poète qui exprime ainsi le "flou du flou". M. Stéphane Mallarmé, dont la claire conversation est si pleine de charme, a-t-il tort ou raison ? Nous l’examinerons dans la conclusion de cette enquète.

Catégorie :

Dernière modification le 29 mars 2007 à 22h40