La Confession Supprimee

Page créée le 03 janvier 2009 à 09h21 par François Direz print pdf

LA CONFESSION SUPPRIMEE

LE ciel sur nous en aveugle dispense
Maux et plaisirs, et trop souvent le mal
De son côté fait pencher la balance ;
Les plus heureux ont le partage égal.

Un des curés que nourrit la Champagne,
Cette Champagne où moines blancs et noirs
Avaient jadis de nombreux vendangeoirs,
A table, un soir, seul avec sa compagne,
A cœur ouvert parlait de son état.
Il fait d'abord l'éloge de sa cure ;
Puis il s'en plaint, peut-être outre mesure ;
C'est notre usage : aussi, fût-il prélat,
La part du blâme eût été la plus forte.
« Enfin, dit-il à sa servante accorte,
Bons et mauvais, repassons tous les mois.
Marque les bons, Justine, avec tes doigts,
Moi les mauvais, et voyons qui l'emporte.
Janvier, ma mie, a par un jour heureux
Commencé l'an : il faudrait bien des peines
Pour l'effacer, c'est le jour des étrennes.
Je n'ai pas bu le sillery mousseux
Dont le voisin m'a donné dix bouteilles.
Ce matin-là, Périnette aux yeux bleus
Me dit : «curé, j'apporte les oreilles
De notre porc et de plus un jambon,
Que je vais pendre à votre cheminée.
« Justine, allons, pour plus d'une raison,
Tu dois marquer ce mois de bonne année.
Passons à l'autre. Il ne faut pas s'y fier :
Le mal, le bien, s'offrent dans février.
S'il a l'odeur des trois jours gras que j'aime,
Il est bientôt escorté du carême.
Pour être juste, abstenons-nous tous deux
De le compter et laissons-le douteux.
Mars est mauvais ; chez lui rien d'équivoque :
Pour un curé c'est la plus rude époque.
Oh ! quel ennui d'aller, dès le matin,
Dans son église, au travers d'une grille,
Les pieds glacés, écouter femme ou fille
Disant sa coulpe et celle du prochain !
Dans ce saint mois chaque jour me chagrine,
Et pour lui seul je mettrais bien deux doigts.»
En poursuivant ainsi de mois en mois,
Il se trouva que sur ses doigts Justine
En comptait deux de moins que le pasteur :
Cinq doigts de bons contre sept de malheur !
« Oh ! Oh ! Dit-il, pour être heureux sur terre,
Partage égal est au moins nécessaire.
Il faut, ma fille, aviser au moyen
De rendre bon un des doigts de ma main.
Voici venir ces longs jours de carême,
Jours de confesse et jours d'affliction ;
Si j'obligeais la dévote elle-même
A renoncer à la confession,
D'un mauvais doigt j'en aurais fait un bon.
« Dans ce dessein, il monte un jour en chaire,
Et dit, après une courte prière :
« Mes chers enfants, l'homme, et par l'homme encore
J'entends la femme, est faible de nature.
Tenté du diable, on cède sans effort ;
De là péchés plus hideux que la mort :
Un seul suffit pour rendre l'âme impure.
Mais, pour sauver du feu sa créature,
Dieu, mes enfants, a fait un tribunal
Qui purifie et guérit de tout mal.
La jeune fille, hélas ! Trop confiante,
Pleurant sa faute et son amant trompeur,
Court à confesse et revient innocente ;
Absous d'un vol, vous n'êtes plus voleur :
Point de péché dont on ne vous exempte
Mais, pour jouir d'un bien si précieux,
Mettons de l'ordre, et tout en ira mieux.
Je veux d'abord que la sainte semaine
Soit consacrée à cette œuvre chrétienne ;
De plus, ses jours en nombre étant égaux
Aux sept péchés qu'on nomme capitaux,
Chaque péché, dans l'ordre que l'Église
L'a désigné, doit seul avoir son jour,
Et tous les ans revenir à son tour.
Suivez-moi bien, de crainte de méprise :
Les orgueilleux seront absous, lundi ;
Mardi, l'envie ; il est bon que justice
Aux libertins soit faite, mercredi ;
Jeudi, viendra le jour de l'avarice ;
A nos gourmands, il faut le vendredi ;
Pour la colère admettez samedi,
Et le dimanche, une heure avant la messe,
Au tribunal j'attendrai la paresse.
« Là le curé, terminant le sermon,
Leur donne à tous sa bénédiction.
Le lundi saint, de courir à confesse
Nul n'est tenté : car qui voudrait tout haut
D'un sot orgueil accuser le défaut ?
Si la dévote, au détour d'une rue,
Levant les yeux, aperçoit son pasteur,
Vite elle passe et craint qu'on ne l'ait vue,
Le jour d'envie, avec son confesseur.
Le mercredi, le jour de la luxure,
C'était à qui fuirait loin de la cure.
Dans sa maison, jeudi, se tiendra Jean ;
Jean l'économe a peur que l'on ne dise :
« Voici l'avare, il se rend à l'église.
« Nul n'est colère, et pas un n'est gourmand.
Ce bourg enfin n'avait plus aucun vice ;
Il ne comptait pas même un paresseux.
Le bon curé vint, par cet artifice,
A bout de rendre un mauvais mois heureux.

Louis de Chevigné, Les Contes rémois (1828)

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Dernière modification le 06 janvier 2009 à 18h43