Le Faucon

Page créée le 05 janvier 2009 à 10h59 par François Direz print pdf

LE FAUCON

Ducs et marquis peuplaient jadis leur cour
De damoiseaux, enfants de haut lignage,
Qui d'obéir faisaient l'apprentissage
Pour mériter de commander un jour.
Dans les combats, près du seigneur, le page
N'avait qu'un maître; au château de retour,
Ce serviteur, au cœur jeune et novice,
Passait les jours clans un double service,
Pour second maître ayant encor l'Amour.
Ce maître-là souvent a maint caprice,
Il est fantasque, impérieux, grondeur,
Mais de sa bouche un seul mot de douceur
Fait oublier l'humeur et l'injustice.
Oh ! qu'il est doux cet âge du bonheur !
Je l'ai passé ce temps de l'esclavage:
Mais en lisant cette histoire d'un page,
Ainsi que moi peut-être mon lecteur
Se souviendra des jours de son jeune âge.
Avant d'entrer sur le sol champenois,
Le voyageur, qui de Soissons chemine
Aux murs de Braîne, admire la colline
Qui porte encor, au milieu de ses bois,
D'un vieux château l'imposante ruine.
C'était toujours sur le sommet des monts
Que se nichaient, ainsi que des aiglons,
Ces fiers barons qui partageaient la France.
Dans ce donjon que le temps a noirci,
Un descendant de nos Montmorency
Sous Henri deux fixa sa résidence.
Jamais seigneur n'aima plus la dépense :
Tout s'y trouvait, chevaux, meutes, faucons,
Jeunes beautés et jeunes échansons,
Tous les plaisirs des champs et de la ville.
Notez encor qu'à ses désirs facile
L'Hymen avait conduit dans ce séjour
Femme accomplie, et telle que l'Amour
Soir et matin l'enviait à son frère.
Mais la duchesse, à tout amant contraire,
N'aimait personne, excepté son époux.
Ce n'était pas une tendresse extrême :
Chacun de nous sait comme en France on aime,
Après un an, le mari le plus doux.
Le petit dieu qui commande à Cythère
S'en courrouçait et brûlait de ses feux
Un jeune page aussi beau qu'amoureux,
Faisant sur lui retomber sa colère.
Depuis six mois, en secret consumé,
Le pauvre amant à cet objet aimé
N'avait osé parler de sa souffrance :
, Est-il mortel plus malheureux en France?
Dit-il, je meurs, et crains d'avoir recours
Au médecin qui peut sauver mes jours.
Et pourquoi craindre ? En rompant le silence,
L'aveu des maux que souffre un malheureux
Peut amollir ce cœur trop orgueilleux. »
Prêt à parler, notre jeune amoureux
N'attendait plus que le moment propice.
Ce moment vint : l'Amour, toujours complice ,
Quand il s'agit de tromper un époux,
A d'un tournoi fixé le rendez-vous.
Le duc s'y rend en pompeux équipage;
Mais Lusignan, c'était le nom du page,
Au premier vent qu'il a de ce départ,
Se met au lit et feint d'être malade.
Il fallait voir vraiment avec quel art
Il sanglottait à chaque camarade
Qui le plaignait au moment des adieux.
La troupe armée est déjà loin des yeux.
Après deux jours de feinte maladie,
Il est debout et court plein de santé;
Je faux : le mal qui tourmente sa vie
Est trop réel, quoique la Faculté
Parmi ses maux ne l'ait jamais compté.
Ce doux moment après lequel le page
Tant soupirait, l'heure enfin de parler
Sonne au château : le voyez-vous voler
Jusqu'à la porte, et là, perdant courage,
Sans voir sa dame à pas lents s'en aller.
Mais à son sort l'Amour qui s'intéresse
Le pousse un jour jusque chez la duchesse.
Elle était seule : et Lusignan tremblant
A sa pâleur semble un convalescent.
vec bonté la dame à côté d'elle
Le fait asseoir, et lui témoigne un zèle
Propre à calmer l'effroi du pauvre amant.
Le vermillon reparaît sur la joue
Où la duchesse a promené sa main :
«Votre santé, dit-elle, je l'avoue,
Depuis longtemps me cause du chagrin.
Cet air rêveur plus encor m'inquiète :
N'auriez-vous pas quelque peine secrète?
Dites-le moi. Votre âge aime les jeux,
Vous les fuyez ; et malgré ma défense,
Seul à l'écart évitant ma présence,
Dans ce château vous vivez en chartreux.
Parlez sans feinte.. Heureux d'ouvrir son âme,
Le page dit: «Votre bonté, madame,
Me touche au vif. Un ami malheureux
Le jour, la nuit occupe ma pensée.
Depuis six mois il aime éperdûment
Une beauté : mais ce timide amant
Dès qu'il la voit a la langue glacée,
Et n'ose point parler de son tourment.
Que doit-il faire? ah! j'en ai l'assurance,
Il va mourir, s'il s'obstine au silence.
— Mon avis est, dit la dame aussitôt,
Pour le guérir de son double délire,
Celui d'aimer et de n'oser le dire,
Qu'il aime ailleurs, ou qu'il parle au plus tôt.
— Aimer ailleurs? Oh! non; celle qu'il aime,
Reprit le page, est trop belle à ses yeux :
Taille divine, air noble et gracieux,
Si je l'en crois c'est une autre vous-même :
Mais elle est fière, il a craint son courroux.
— Vaine frayeur, repartit la duchesse,
Car le parler de l'amour est si doux
Que votre ami de sa belle maîtresse
Aura merci, j'en ferais la promesse.
— Eh bien, je suis cet ami malheureux,
Dit Lusignan , et vous devez, madame,
Me pardonner si mon cœur amoureux
Ose à genoux vous déclarer sa flamme.
Si mon amour peut offenser votre âme,
Je suis coupable, ordonnez de mon sort;
J'attends ma grâce ou l'arrêt de ma mort. »
A ce discours la noble châtelaine
Soudain se lève, et d'une voix hautaine
Commande au page à l'instant de sortir.
« Bientôt le duc aura l'ait son voyage :
Mon premier soin sera de l'avertir
Du zèle ardent que lui montre son page.
Sortez , dit-elle, et ne paraissez plus.
— Vous obéir, dit Lusignan confus,
Fut et sera toujours ma loi suprême.
Si, malgré moi, par un fatal aveu,
J'ai pu blesser celle que mon cœur aime,
De la venger je prendrai soin moi-même :
Dans quelques jours vous me plaindrez; adieu.
Disant ces mots, il quitte la duchesse,
Se met au lit, et forme le dessein
De fuir le jour et de mourir de faim ;
Deux jours entiers, fidèle à sa promesse ,
L'amant s'obstine à pleurer et jeûner.
D'abord la dame avait de badinage
Traité ce vœu : mais enfin son courage,
Qui va croissant, commence à l'étonner.
Dans le château la prompte renommée
A publié que, du tournoi vainqueur,
Le duc revient, escorté d'une armée
De chevaliers témoins de sa valeur.
Avec fracas déjà le pont s'abaisse
Pour l'écuyer qui vient à la duchesse
De son époux annoncer le retour.
L'ordre est donné de fêter ce grand jour.
Lusignan seul dans ce séjour ne veille
Que pour pleurer, quand au pied de son lit
Une voix douce a frappé son oreille :
A cette voix le page tressaillit;
Il se soulève, et, voyant sa maîtresse:
Mes yeux, dit-il, ne me trompent-ils pas ?
Eh quoi! j'aurais, aux portes du trépas,
Le doux plaisir de vous revoir, duchesse!
— Cessez, dit-elle, un discours qui me blesse,
Je vous l'ai dit. Lusignan, levez-vous !
Venez servir aujourd'hui mon époux;
Nous l'attendons. Je tairai vos offenses,
Si le devoir ainsi crue mes instances
Peuvent enfin vous rendre à la raison. »
En soupirant.le page lui répond:
« Combien ! madame, à mon cœur il en coûte
A tous mes torts de joindre un tort nouveau !
Bientôt la mort, qui creuse mon tombeau,
Mieux que le duc vous vengera sans cloute :
Mais laissez-moi me flatter en mourant
Qu'au souvenir du plus fidèle amant
Vous daignerez accorder quelques larmes.
De Lusignan la voix pleine de charmes,
Cette pâleur, gage de son amour,
Ses traits charmants, son respect, sa jeunesse,
Tout conspirait à vaincre la duchesse,
Quand la trompette a du haut de la tour
De son époux proclamé le retour.
Elle descend, et court à la grand'porte
Fêter le duc et sa brillante escorte.
L'on a servi : nos joyeux chevaliers
De vin mousseux arrosent leurs lauriers.
Le duc en vain des yeux cherchait son page.
Le repas fait, lorsque pour le jardin
Chacun quittait la salle du festin,
La dame à part prend le duc et l'engage
A visiter le page qu'il chérit.
« J'y vais aller, dit-il, car son absence
Tout le dîner occupait mon esprit.»
Chez lui tous deux montent en diligence.
Le duc, frappé de l'extrême pâleur
De Lusignan, sur son mal l'interroge.
L'autre d'abord se répand en éloge
Sur les bontés qu'a pour lui son seigneur;
Et puis, mettant une main sur son cœur:
«Tout est fini; la douleur qui m'oppresse
Je le sens bien, ne se peut soulager.
— Duc, il vous trompe, interrompt la duchesse :
Çà, Lusignan, avant que je confesse
La vérité, promettez de manger.
— Vous obéir fut toujours mon envie,
Mais à manger je ne puis consentir.
— Eh bien, sachez, il faut que je le die,
Que le jour même où vous deviez partir
Son mal n'était que feinte maladie.
Que dans ma chambre entrant le lendemain.....
— Dans votre chambre ! et qu'y venait-il faire?
— Vous le saurez ; Lusignan, pour me taire,
Répondez-moi, mangerez-vous enfin?
— Un jour de plus qu'importe que je vive,
Dit Lusignan, ma blessure est si vive
Que sans miracle on ne peut la guérir :
Laissez en paix un malheureux mourir. »
Pur tant d'amour la dame est attendrie;
Son but était d'effrayer Lusignan,
Et, s'il se peut, de le rendre à la vie
Sans consentir aux vœux de son amant.
Mais tout à coup, changeant de sentiment:
« Duc, apprenez, puisqu'il faut vous le dire,
Que Lusignan voulait votre faucon.
A ce dessein j'opposai la raison ;
Mais sur le page elle n'eut point d'empire ,
Et depuis lors ce jeune damoiseau
S'en va mourir s'il n'obtient votre oiseau.
- Quoi! dit l'époux, ce n'est que ça, madame;
J'en aurais cent qu'à mon cher Lusignan
Il eût fallu les donner sur-le-champ.
De ce refus mille fois je vous blâme.
— Vous l'entendez, Lusignan, levez-vous,
Je vous promets l'oiseau de mon époux.
De Lusignan figurez-vous l'ivresse,
Ami lecteur, quand la bonne duchesse,
Peut-être moins pour tenir sa promesse
Que par amour, lui fit le lendemain
Don de l'oiseau dont il avait si faim.

Louis de Chevigné, les Contes rémois, 1836.

Dernière modification le 05 janvier 2009 à 10h59