Pauvre enfant pâle

Page créée le 15 novembre 2006 à 09h57 par François Direz print pdf

Pauvre enfant pâle

PAUVRE ENFANT PÂLE
Stéphane MALLARMÉ

première parution : 2 juillet 1864

Pauvre enfant pâle, pourquoi crier à tue-tête dans la rue ta chanson aiguë et insolente, qui se perd parmi les chats, seigneurs des toits ? car elle ne traversera pas les volets des premiers étages, derrière lesquels tu ignores de lourds rideaux de soie incarnadine.

Cependant tu chantes fatalement, avec l’assurance tenace d’un petit homme qui s’en va seul par la vie et, ne comptant sur personne, travaille pour soi. As-tu jamais eu un ère ? Tu n’as pas même une vieille qui te fasse oublier ta faim en te battant, quand tu rentres sans un sou.

Mais tu travailles pour toi : debout dans les rues, couvert de vêtements déteints faits comme ceux d’un homme, une maigreur prématurée et trop grand à ton âge, tu chantes pour manger, avec acharnement, sans abaisser tes yeux méchants vers les autres enfants jouant sur le pavé.

Et ta complainte est si haute, si haute, que ta tête nue qui se lève en l’air à mesure que ta voix monte, semble vouloir partir de tes petites épaules.

Petit homme, qui sait si elle ne s’en ira pas un jour, quand, après avoir crié longtemps dans les villes, tu auras fait un crime ? un crime n’est pas bien difficile à faire, va, il suffit d’avoir du courage après le désir, et tels qui... Ta petite figure est énergique.

Pas un sou ne descend dans le panier d’osier que tient ta longue main pendue sans espoir sur ton pantalon on te rendra mauvais et un jour tu commettras un crime.

Ta tête se dresse toujours et veut te quitter, comme si d’avance elle savait, pendant que tu chantes d’un air qui devient menaçant.

Elle te dira adieu quand tu paieras pour moi, pour ceux qui valent moins que moi. Tu vins probablement au monde vers cela et tu jeûnes dès maintenant, nous te verrons dans les journaux.

Oh ! pauvre petite tête !

Premier état du texte

LA TÊTE
Stéphane MALLARMÉ

première parution : 2 juillet 1864

Pauvre enfant pâle, pourquoi crier à tue-tête dans la rue ta chanson aiguë et insolente qui se perd parmi les chats, seigneurs des toits.

Car elle ne traversera pas les volets des premiers étages, derrière lesquels tu ne vois pas les lourds rideaux de soie rouge..

Cependant tu chantes fatalement avec l'assurance tenace d'un petit homme qui s'en va seul par la vie, et, ne comptant sur personne, travaille pour soi. As-tu jamais eu un père? Tu n'as pas même une vieille qui te fasse oublier la faim en te battant, quand tu rentres sans un sou.

Mais tu travailles pour toi, et, debout dans les rues, couvert de vêtements déteints faits comme ceux d'un homme, trop grand pour ton âge et d'une maigreur précoce, tu chantes avec acharnement pour manger sans abaisser tes yeux méchants vers les autres enfants qui jouent sur le pavé.

Et ta complainte est si haute, si haute, que ta tête nue, qui se lève en l'air à mesure que ta voix monte, semble vouloir partir de tes petites épaules.
Petit homme, qui sait si elle ne s'en ira pas un jour quand, après avoir crié longtemps dans les villes, tu auras fait un crime.

Car un crime n'est pas bien difficile à faire, va, il suffit d'avoir une main au bout de son désir.
Pas un sou ne descend dans ton petit panier d'osier que tient ta longue main pendue sans espoir sur ton pantalon : cela te rendra méchant, et un jour tu commettras un crime.
Et ta tête se dresse toujours, et veut déjà te quitter, —.comme si elle savait d'avance — pendant que tu chantes d'un air qui devient menaçant.

Elle te dira adieu quand tu paieras pour moi, pour ceux qui vaudront moins que toi. Et probablement tu vins au monde pour cela, et c’est pour cela que tu chantes dès maintenant. Nous te verrons alors dans les journaux.
Ah ! pauvre petite tête !

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Dernière modification le 12 décembre 2008 à 18h50