Un Principe Des Vers

Page créée le 13 décembre 2008 à 18h06 par François Direz print pdf

IV

UN PRINCIPE DES VERS

Jamais soufflet tel à l’élite soucieuse de recueillement pour s’installer en l’esprit des splendeurs, que celui donné par la crapule exigeant la suppression, avec ou sans le gouvernement ou d’accord avec le chef-d’œuvre affolé lui-même, de Lohengrin : ce genre de honte possible n’avait été encore envisagé par moi, et est acquis, au point que quelque tempête d’égout qui maintenant s’insurge contre de la supériorité et y crache, j’aurai vu pire, et rien ne produira qu’indifférence.

Certaine incurie des premières représentations pour ne pas dire un éloignement peut-être de leur solennité, où une présence avérée devant tout l’éclat scénique commande, au lieu de ces légères Notes d’un coin prises par côté et n’importe quand à l’arrière vibration d’un soir, mon attention pleine et de face, orthodoxe, à des plaisirs que je sens médiocrement ; aussi d’autres raisons diffuses, même en un cas exceptionnel m’avaient conduit (et la certitude pour la critique d’ici de compter, en faveur du drame lyrique, sur l’éloquente bravoure de mon conjoint musical [1]) à négliger les moyens d’être de ce lever angoissant du rideau français sur Wagner. Mal m’en a pris ; on sait le reste et comment c’est en fuyant la patrie que dorénavant il faudra satisfaire de beau notre âme.

Voilà, c’est fini, pour des ans…

Que de sottise et notamment au sens politique envahissant tout, si bien que j’en parle ! d’avoir perdu une occasion élémentaire, tombée des nuages et sur quoi s’abattre, nous de manifester à une nation hostile la courtoisie qui déjoue de hargneux faits divers ; quand il s’agissait d’en saluer le Génie dans son aveuglante gloire.

Tous, de nouveau nous voici, quiconque recherche le culte d’un art en rapport avec le temps (encore à mon avis que celui d’Allemagne accuse de la bâtardise pompeuse et neuve), obligés de prendre, matériellement, le chemin de l’étranger non sans ce déplaisir subi, par l’instinct simple de l’artiste, à quitter le sol du pays ; dès qu’il y a lieu de s’abreuver à un jaillissement voulu par sa soif.

Un de ces soirs manqués d’initiation et de joie j’ouvrais, en quête de bonne compensation, le radieux écrit le Forgeron pour y apprendre de solitaires vérités.

Que tout poème composé sinon pour obéir au vieux génie du vers, n’en est pas un… On a pu, antérieurement à l’invitation de la rime ici extraordinaire parce qu’elle ne fait qu’un avec l’alexandrin qui, dans ses poses et la multiplicité de son jeu, semble par elle dévoré tout entier comme si cette fulgurante cause de délice y triomphait jusqu’à l’initiale syllabe ; avant le heurt d’aile brusque et l’emportement, on a pu, cela est même l’occupation de chaque jour, posséder et établir une notion du concept à traiter, mais indéniablement pour l’oublier dans sa façon ordinaire et se livrer ensuite à la seule dialectique du Vers. Lui en dieu jaloux auquel le songeur céda la maîtrise, il ressuscite au degré glorieux ce qui, tout sûr, philosophique, imaginatif et éclatant que ce fût, comme dans le cas présent, une vision céleste de l’humanité ! ne resterait, à son défaut que les plus beaux discours émanés de notre bouche : à travers un nouvel état, pur, il y a recommencement sublime des conditions ainsi que des matériaux naturels de la pensée sis habituellement chez nous pour un devoir de prose, comme des vocables eux-mêmes, après cette différence et l’essor au-delà, atteignant leur vertu.

Personne, ostensiblement, depuis qu’étonna le phénomène poétique, ne le résume avec audacieuse candeur que peut-être un esprit immédiat ou originellement doué, Théodore de Banville et l’épuration, par les ans, de son individualité en le vers, désigne aujourd’hui cet être à part, primitif et buvant tout seul à une source occulte et éternelle ; car rajeuni dans le sens admirable par quoi l’enfant est plus près de rien et limpide, ce n’est plus comme d’abord son enthousiasme qui l’enlève à des ascensions continues du chant ou de l’idée, bref le délire commun aux lyriques : hors de tout souffle perçu grossier, virtuellement la juxtaposition entre eux des mots appareillés d’après une métrique absolue et ne réclamant de quelqu’un, le poëte dissimulé ou son lecteur, que la voix modifiée suivant une qualité de douceur ou d’éclat, pour parler.

Ainsi lancé de soi le principe qui n’est rien, que le Vers ! attire non moins que dégage pour son jaloux épanouissement (l’instant qu’ils y brillent et meurent dans une fleur rapide, sur quelque transparence comme d’éther) les mille éléments de beauté pressés d’accourir et de s’ordonner dans leur valeur essentielle. Signe ! au gouffre central d’une spirituelle impossibilité que quelque chose soit divin exclusivement à tout, le numérateur sacré du compte de notre apothéose, vers enfin suprême qui n’a pas lieu en tant que moule d’aucun objet qui existe : mais il emprunte, pour y aviver son sceau nul, tous gisements épars, ignorés et flottants selon quelque richesse, et les forger.

Voilà, constatation à quoi je glisse, comment, dans notre langue, les vers ne vont que par deux ou à plusieurs, en raison de leur accord final, soit la loi mystérieuse de la Rime, qui se révèle avec la fonction de gardienne du sanctuaire et d’empêcher qu’entre tous, un n’usurpe, ou ne demeure péremptoirement : en quelle pensée fabriqué celui-là ! peu m’importe, attendu que sa matière aussitôt, gratuite, discutable et quelconque, ne produirait de preuve à se tenir dans un équilibre momentané et double à la façon du vol, identité de deux fragments constitutifs remémorée extérieurement par une parité dans la consonnance [2].

Chaque page de la brochure annonce et jette haut comme des traits d’or vibratoire ces saintes règles du premier et dernier des Arts. Spectacle intellectuel qui me passionne : l’autre, tiré de l’affabulation ou le prétexte, lui est comparable.

Vénus du sang de l’Amour issue et aussitôt convoitée par les Olympiens dont Jupiter : sur l’ordre de celui-ci ni vierge ni à tous, afin de réduire ses ravages elle portera la chaîne de l’hymen avec un, Vulcain, ouvrier latent des chefs-d’œuvre, que la femme ou beauté humaine, les synthétisant, récompense par son choix (car il faut en le moins de mots à côté, vu que les mots sont la substance même employée ici à l’œuvre d’art, en dire l’argument).

Quelle représentation ! le monde y tient ; un livre, dans notre main, s’il énonce quelque idée auguste, supplée à tous les théâtres, non par l’oubli qu’il en cause mais les rappelant impérieusement, au contraire. Le ciel métaphorique qui se propage à l’entour de la foudre du vers, artifice évocateur par excellence au point de simuler peu à peu et d’incarner les héros eux-mêmes (juste dans ce qu’il faut apercevoir pour n’être pas gêné de leur présence, bref le mouvement), ce spirituellement et magnifiquement illuminé fond d’extase, c’est, c’est bien le pur de nous-mêmes par nous porté, toujours, prêt à jaillir à l’occasion qui dans l’existence ou hors l’art fait toujours défaut. Musique certes que l’instrumentation d’un orchestre tend à reproduire seulement et à feindre. Admirez dans sa toute puissante simplicité ou foi en un moyen vulgaire et supérieur, l’élocution, puis la métrique l’affinant à une expression dernière, comme quoi un esprit, qui se réfugia au vol de plusieurs feuillets, défie la civilisation négligeant de construire à son rêve, motif qu’elles aient lieu, la Salle prodigieuse et la Scène. Le mime absent et finales ou préludes aussi par les bois, des cuivres et les cordes, il attend, cet esprit, placé au-delà des circonstances, l’accompagnement obligatoire d’arts ou s’en passe. Seul venu à l’heure parce que l’heure est sans cesse aussi bien que jamais, à la façon d’un messager, du geste il apporte le livre, ou sur ses lèvres, avant que de s’effacer ; et l’être qui retint l’éblouissement général, le multiplie chez tous, du fait de la communication.

La merveille d’un haut poème comme ici me semble que, naissent des conditions pour en autoriser le déploiement visible et l’interprétation, d’abord il s’y prêtera et ingénument au besoin ne remplace tout que faute de tout.

J’imagine que la cause de s’assembler, dorénavant, en vue de fêtes inscrites au programme humain, ne sera pas le théâtre, borné ou incapable tout seul de répondre à de très subtils instincts, ni la musique du reste trop fuyante pour ne pas décevoir la foule ; mais à soi fondant ce que ces deux isolent de vague ou de brutal, l’Ode, dramatisée par des effets de coupe savants : ces Scènes Héroïques sont une ode à plusieurs voix.

Oui, le culte promis à des cérémonials, songez quel il peut être, réfléchissez ! Simplement l’ancien ou de tous temps, que l’afflux par exemple de la symphonie récente des concerts a cru mettre dans l’ombre, au lieu que c’est l’affranchir, installé mal sur les planches et l’y faire régner : aux convergences des autres arts située, issue d’eux et les gouvernant, la Fiction ou Poésie.

Chez Wagner, déjà, qu’un poëte, le plus superbement français, console de ne pas étudier au long de ces Notes, je ne vois plus, dans l’acception correcte, le théâtre (sans conteste on invoquerait mieux, au point de vue dramatique, dans la Grèce ou Shakespeare) mais la vision légendaire qui suffit sous le voile des sonorités et s’y mêle ; pas plus que sa partition du reste, comparée à du Beethoven ou du Bach, n’est, strictement, la musique. Quelque chose de spécial et complexe résulte, à n’appeler somme toute autrement que poétique, malgré que l’enchanteur Allemand plutôt aille vers la littérature qu’il n’en provient.

Une œuvre du genre de celle qu’octroie en pleine sagesse et vigueur notre Théodore de Banville est littéraire dans l’essence, mais ne se replie pas toute au jeu du mental instrument par excellence, le livre ! Que l’acteur insinué dans l’évidence des attitudes prosodiques y adapte son verbe, et vienne parmi les repos de la somptuosité orchestrale qui traduirait les rares lignes en prose précédant de pierreries et de tissus, étalés mieux qu’au regard, chaque scène comme un décor ou un site certainement idéals, cela pour diviniser son approche de personnage appelé à ne déjà que transparaître à travers le recul fait par l’amplitude ou la majesté du lieu ! j’affirme que, sujet le plus fier et comme un aboutissement à l’ère moderne, esthétique et industrielle, de tout le jet forcément par la Renaissance limité à la trouvaille technique ; et clair développement grandiose et persuasif ! cette récitation, car il faut bien en revenir à ce terme quand il s’agit de vers, charmera, instruira, malgré l’origine classique mais envolée en leurs types purs des vieux dieux (en sommes-nous plus loin, maintenant, en fait d’invention mythique ?) et par dessus tout émerveillera le Peuple : en tous cas rien de ce que l’on sait ne présente autant le caractère de texte pour des réjouissances ou fastes officiels dans le vieux goût et contemporain, comme l’Ouverture d’un Jubilé, notamment de celui au sens figuratif qui, pour conclure un cycle de l’Histoire, me semble exiger le ministère du Poëte, en 1889.

Notes :

1. M. de Fourcaud.
2. Là est la suprématie des modernes vers sur ceux antiques formant un tout et ne rimant pas ; qu’emplissait une bonne fois le métal employé à les faire, au lieu que, chez nous, ils le prennent et le rejettent, incessamment deviennent, procèdent musicalement : en tant que Stance, ou le distique.

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Dernière modification le 13 décembre 2008 à 18h25