Apparition
La lune s’attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l’archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes viole
De blancs sanglots glissant sur l’azur des corolles.
― C’était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S’enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d’un Rêve au cœur qui l’a cueilli.
J’errais donc, l’œil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m’es en riant apparue
Et j’ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d’enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d’étoiles parfumées.
Orphée, par Gustave Moreau
Notes
- Paru en 1883, dans la revue Lutèce, ce poème date, probablement, de 1863. Il y est peut-être question d'Ettie Yapp, fiancée d'Henri Cazalis. L'atmosphère de ce poème rappelle Annabel Lee, de Poe, que Mallarmé traduisait à la même époque, mais on trouve aussi l'influence de Victor Hugo :
Victor Hugo, A l'homme qui a livré une femme, in Les Chants du Crépuscule.
- Claude Debussy renonça à mettre ce poème en musique, en 1913.
- voir les versions précédentes du poème
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