Le Carrefour des Demoiselles

Page créée le 25 mars 2007 à 22h08 par François Direz print pdf

LE CARREFOUR DES DEMOISELLES

ou
L'ABSENCE DU LANCIER

ou
LE TRIOMPHE DE LA PRÉVOYANCE.
Fait en collaboration avec les
Oiseaux, les Pâtés, les Fraises et les Arbres.

PAR :

Stéphane Mallarmé
Emmanuel des Essarts

AIR : « Il était un petit navire,

Qui n'avait jamais navigué. »

C'était une illustre partie
Des gens bien vêtus et bien nés

Neuf parisiens sans apathie
Intelligents et vaccinés.

Quoique l'on fût mélancolique
Il y a manKate et le lancier

On mit sur un granit celtique
Un anathème à l'Épicier.

Tous gambadaient comme des chèvres
De bloc en bloc, de roc en roc ;

Les mots mazurkaient sur les lèvres,
Tantôt tic-tac, tantôt toc-toc.

Pour l'aspic et pour la vipère
On ménageait de l'alcali,

On ne rencontra qu'un notaire
Qui, tout jeune, était bien joli.

Là Denecourt, le Siècle en poche,
Dispensateur du vert laurier,

A peint en noir sur une roche :
« Repos du Poète ouvrier. »

Voici l'émerveillante liste
Léguée à la postérité

De cette bande fantaisiste
Bien peu dans sa majorité :

Un jeune baby d'espérance
Que parmi les sombres halliers

D'un œil d'amour couvait la France
Comme l'enfant des chevaliers ;

D'aimables mères de familles
Qui se réjouissaient de voir

Du soleil aux yeux de leurs filles
Et des messieurs Sens habit noir ;

Fort mal noté par les gendarmes
Le garibaldien Mallarmé

Ayant encor plus d'arts que d'armes
Semblait un Jud très alarmé ;

Ettie, en patois Henriette,
Plus agile que feu Guignol,

Voltigeait comme une ariette
Dans le gosier d'un rossignol ;

Dans le sein de cette algarade
S'idyllisait le Cazalis,

Qui, comme un chaste camarade,
Tutoyait l'azur et le lis ;

Puis, une Anglaise aux airs de reine
À qui Diane porte un toast,

Qu'Albion envoie à Suresne
Sous la bande du Morning-Post ;

Piccolino, le coloriste,
Qui pour parfumer nos vingt ans

Pille comme un vil herboriste
L'opulent écrin du printemps

Nina qui d'un geste extatique
Sur le dolmen et le men-hir

Semblait poser pour la Musique,
La musique de l'avenir ;

Puis des Essarts Emmanuelle,
Le plus beau-det jeunes rimeurs,

Offrait le fantasque modèle
D'un poète ayant gants et mœurs.

Mais Ponsard qui veut qu'on s'ennuie
Vint lui-même installer aux Cieux

Le Théramène de la pluie,
Personnage silencieux.

Puis l'heure leur coupa les ailes
Et, tout boitant et s'accrochant,

Du « Carrefour des Demoiselles »
On fit un lac en pleurnichant.

I8 MAI I862

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Dernière modification le 06 novembre 2008 à 14h01